Constitution d’une SCI avant divorce

Attention au recel de communauté.

Livres droit commercial et procédure pratique

Dans un nouvel arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au Bulletin (C. Cass, 1ère Civ, 17 Janvier 2024, N°22.11.303), les juges de la Haute Cour s’interrogent sur la date précise à laquelle une SCI est constituée, puisque dès lors, d’importantes conséquences peuvent en découler, notamment s’agissant du partage de communauté dans le cadre d’un divorce. 

Les faits sont les suivants : En 2013, le Juge aux Affaires Familiales (JAF) du tribunal judiciaire de Versailles prononce le divorce d’un couple d’époux anciennement mariés sous le régime de la communauté universelle.

Par le même jugement, il homologuait l’état liquidatif qui fixait les effets du divorce en ce qui concerne leur patrimoine commun.

Origine du contentieux :

Le contentieux actuel trouve son origine dans la constitution presque « simultanée » par l’un des deux, d’une société civile immobilière (SCI). 

L’ex-époux avait en effet déposé 450 euros sur un compte bancaire ouvert au nom et pour le compte d’une SCI en cours de formation, au mois de janvier 2012. Quelques jours plus tard, les statuts sont signés entre les associés… mais l’immatriculation effective de la nouvelle SCI au registre du commerce et des sociétés (RCS) ne datait que du 29 février 2012, soit à une date postérieure à la date des effets du divorce arrêtée par le JAF (au 27 février…).

La communauté universelle a donc été dissoute entre le dépôt bancaire/signature des statuts, et l’immatriculation effective du RCS.

Le recel de communauté : Qu’est-ce que c’est ?

Lors d’une procédure de divorce, qui concerne des époux mariés sous le régime de la « communauté universelle », c-a-d, avec contrat de mariage incluant dans la communauté tous les biens du couple acquis avant/pendant le mariage, même ceux reçus par donation et succession.

A la différence de la « communauté légale » (c-a-d sans contrat de mariage) où chacun des époux doit déclarer précisément les biens qu’il possède pour déterminer lesquels sont des biens propres (ceux acquis avant mariage, ou reçus par succession, donation pendant le mariage) pour les exclure de la communauté, la communauté universelle englobe tout le patrimoine des époux.

Le recel de communauté, qu’elle soit légale ou universelle, signifie tous procédés tendant à frustrer un époux de sa part de communauté, par la dissimulation de valeur ou de l’existence d’un bien, ou d’une dette. 

Celui qui l’invoque doit le prouver à l’égard de l’autre ex-époux.

L’article 1477 prévoit : 

« Celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets. De même, celui qui aurait dissimulé sciemment l’existence d’une dette commune doit l’assumer définitivement ».

Ce texte sanctionne gravement le recel, puisque s’il est reconnu, l’auteur est privé de sa propre part, la victime en conserve donc l’intégralité si le bien était détenu en simple indivision.

( ! ) Attention : La jurisprudence exige toutefois la démonstration de l’intention de rompre l’égalité du partage entre les époux. Sans intention frauduleuse, pas de détournement sanctionné (C.Cass, 1ère Civ, 15 décembre 2021, N°20/15.693).

Robe d'avocat en droit des affaires et sociétés

La question était donc, pour les juges du fond de déterminer si les parts sociales souscrites au capital social de la SCI étaient ou non, a posteriori, à inclure dans la communauté à partager.

Les premiers juges ont considéré dans un premier temps que l’ex-époux avaient bien commis un recel de communauté dans la mesure où ils considéraient que c’était effectivement « à la date du contrat de société que doit être située la naissance des parts sociales devant revenir à l’associé au titre de son apport (…) les parts sociales devant revenir à M. (S) au titre de son apport, réalisé au moyen, de fonds présumés communs, ayant pris naissance (…) avant la dissolution de la communauté ».

Cependant cette décision n’a pas été suivie par la Haute Cour, qui, a contrario, rappelle les dispositions du Code civil, lequel prévoit à l’article 1842, en son premier alinéa :

« Les sociétés (…) jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ».

 

Dès lors, jusqu’à celle-ci, les rapports entre les associés sont régis par le contrat de société et par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations.

La Cour de cassation relève alors :

« 10. En statuant ainsi, alors que les droits sociaux ne naissent pas lors de la conclusion du contrat de société, mais à la date de l’immatriculation de celle-ci et qu’il résultait de ses constatations que l’immatriculation de la société, suivie de la libération de son capital, était intervenue après la dissolution de la communauté, de sorte que les parts sociales acquises par M. [S] ne constituaient pas un effet de communauté, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

La question est donc tranchée en faveur de l’ex-époux.

La date à retenir pour l’éventuel recel de communauté n’est autre que celle de l’immatriculation. 

Les parts sociales auraient été intégrées à la communauté du mariage si l’immatriculation de la nouvelle SCI avait été réalisée avant la date des effets du divorce.

Avant l’obtention du Kbis, les parts sociales n’intègrent pas la communauté. Les droits sociaux ne naissent pas lors de la conclusion du contrat de société, mais bien à la date d’immatriculation.

Rien n’empêche donc un individu marié de préparer la constitution d’une nouvelle société, civile ou commerciale (puisqu’on peut imaginer que cette interprétation pourrait s’étendre aux sociétés commerciales), et n’immatriculer la société qu’après la date retenue pour les effets du divorce.

En revanche, constituer une société pendant la procédure de divorce, quand bien même les deux époux auraient convenu d’un accord sur la date effective des effets du divorce à solliciter devant le JAF, constitue un risque puisque si pour une raison ou pour une autre, la procédure devait ne pas arriver à son terme, avec la date d’effet envisagée… la nouvelle société tomberait d’office dans la communauté.

Prise de note d'une avocate

Une société, civile ou commerciale, acquiert la personnalité morale à la constitution, c’est-à-dire à l’obtention du Kbis.

Intervention de la jurisprudence

La jurisprudence est également récemment intervenue pour limiter, cette fois dans l’autre sens, la date de l’acquisition de la personnalité juridique, dans un arrêt publié également au bulletin (C.Cass, C.Comm, 29 novembre 2023, N°22.16.463), qui rappelait, dans ses titrages et résumé que :

« L’attribution du numéro SIREN par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui n’est destiné qu’à l’identification de la société auprès des administrations et des personnes ou organisations énumérées à l’article 1er de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, ne conditionne pas l’acquisition de la personnalité juridique ».

C’est donc bien au jour de l’immatriculation que la société obtient la personnalité juridique, et ni avant-ni après.

N'hésitez pas à partager cet article sur

Les derniers articles :